L’irruption soudaine des nouvelles technologies et le développement rapide du Big Data contrastent avec le rythme de pilotage du système de santé en France, qui est demeuré le même depuis les 70 dernières années.
La contribution des mégadonnées en santé bouleversera de nombreux fronts : politique, social, sociétal et éthique.
L’immense portée du Big Data en santé
Conscients qu’ils assistent à l’aube de nouvelles perspectives, plusieurs entrevoient l’e-santé d’un bon œil, face aux défis actuels et futurs. Ils envisagent les mégadonnées comme un catalyseur, un accélérateur prometteur, qui pourrait provoquer la transformation du système de santé curative actuel – des plus coûteux – en une médecine préventive sur mesure et beaucoup plus abordable. Néanmoins, des blocages innombrables font en sorte que la mutation du système de santé prend actuellement des allures de travaux herculéens en France. L’innovation parviendra-t-elle à surpasser les résistances du corps médical, les freins gouvernementaux et la bureaucratisation ? Les gens et la culture pourraient s’avérer les plus grands obstacles à la disruption technologique des mégadonnées.
Avec un flux de données de santé toujours croissant, s’appuyant sur la masse extraordinaire d’objets connectés, de réseaux sociaux et de séquençage du génome humain, il a été estimé que le volume des données devrait être multiplié par cinq d’ici 2050. Cette révolution de données possède en soi le potentiel pour conduire à une médecine en amont. Le Big Data pourrait permettre de répondre plus facilement aux besoins accrus en soins de santé de la population vieillissante et de lutter contre l’émergence de maladies chroniques et infectieuses.
L’avenir est déjà en train de se matérialiser… Depuis près d’une décennie, des géants de l’industrie des nouvelles technologies tels que Google, Apple et IBM ont pris d’assaut le développement de projets innovants, en capitalisant sur les mégadonnées. La création de « medicaltech » se multiplie pour donner lieu à des projets de médecine prédictive, médecine personnalisée et médecine pertinente.
La médecine prédictive et assistée par des algorithmes est déjà presque une réalité
La prévention en santé affiche jusqu’à présent des résultats mitigés car son action est trop large. Les mégadonnées permettent de cibler en fonction du risque de développement d’une maladie. La « médecine prédictive » s’appuie sur la participation par la collecte de données de santé.
- Par exemple, Sanofi a lancé Diabeo afin de mieux comprendre le taux de glucose dans le sang. Les données partagées par téléphone intelligent sont transmises au médecin traitant.
- La « médecine personnalisée » tire profit des données du génome humain et adapte des traitements administrés à certains profils de patients, selon leur gabarit génétique.
- Quant à la « médecine pertinente », le calculateur d’algorithmes décisionnels Watson, développé par IBM, demeure l’une des initiatives les plus spectaculaires de cette approche avec des diagnostics efficaces, notamment dans les cas de maladies rares.
- Par ailleurs en France, Khresterion s’avère être une start-up prometteuse, avec la mise au point d’un de ces logiciels d’ébauche de diagnostic.
De profonds bouleversements à entrevoir avec le Big Data
Néanmoins, pour qu’ils aient une portée réellement efficace, les objets connectés nécessiteront que d’importants chantiers de restructuration du système actuel voient le jour. Leur orchestration risque d’être fort complexe. Donner un sens à cette information prodigieuse, grâce à des analyses avancées passant au crible les données, tout en y arrimant l’infrastructure et les travailleurs de la santé, s’avère un défi de taille. Cette révolution technologique – en plus d’une révolution des esprits – risque de complètement transformer le secteur de la santé d’une manière très intense.
Plus que les autres domaines, le Big Data représente pour la France un enjeu majeur de société.
Le Big Data de la santé apparaît comme le nouvel eldorado des entreprises cheminant dans ce domaine. Entre 2014 et 2017, la e-santé représente à elle seule un marché estimé entre 2,3 et 3 milliards d’euros par année. Le marché progressera de 4 à 7% par an jusqu’en 2020, pour totaliser 3,5 à 4 milliards d’euros (d’après une analyse du cabinet Precepta).
La baisse faramineuse des coûts de traitement des données ouvre de nouveaux horizons. Par exemple, le coût du séquençage de l’ADN humain est passé de 5 milliards de dollars en 1997 à environ 100-150 euros. Une firme suédoise serait même parvenue à offrir ce service à une vingtaine d’euros en 2016.
Changer de culture, protéger les informations et en encadrer l’usage
Changer la culture d’un système organisationnel demeure l’un des défis les plus difficiles en termes de leadership. La culture d’un système est constituée d’un ensemble de verrouillages des objectifs, rôles, processus, valeurs, pratiques de communication, attitudes, etc. Les éléments s’emboîtent de telle sorte qu’ils se renforcent mutuellement. La majorité des médecins envisagent toutefois de façon favorable l’intégration graduelle de la santé connectée dans leurs pratiques.
Afin de limiter les problématiques de dérives marchandes, les travailleurs de la santé auront besoin d’un encadrement approprié, afin d’acquérir des compétences concernant, entre autres, la protection des informations. Des avis éclairés seront nécessaires pour constituer un écosystème sain, structuré par les cadres éthiques et juridiques qui favoriseront l’utilisation des mégadonnées.
Une possible baisse substantielles de frais de santé
En attendant que s’opère un tel changement de paradigme, si les objets connectés combinés à l’analyse des mégadonnées parvenaient, ne serait-ce que de l’ordre de 1 % à améliorer les pratiques médicales, cela aurait des incidences budgétaires considérables. Il y aurait lieu d’envisager des réductions des dépenses du système de santé de l’ordre de centaines de millions d’euros par année.
Pour Gilles Badinet, auteur du livre ‘Big Data, penser l’homme et le monde autrement’ publié en février 2015, les mégadonnées représentent pour le domaine de la santé en France « pas mal d’opportunités qu’il ne faudrait pas laisser passer, en plus de changer la manière d’envisager la santé ». Gilles Badinet ne se limite pas aux données de santé. Le Big Data constitue selon lui la possibilité d’exploiter une plus vaste variété de données pour les mettre au service de la prévention. Le réseau social d’un patient pourrait être utilisé pour détecter des habitudes de vie potentiellement néfastes pour sa santé et ainsi fournir des éléments permettant au médecin de mieux conseiller le patient.