Le décolletage est l’industrie de précision phare en Haute-Savoie.
Ce secteur emblématique du savoir-faire français a pourtant été lourdement mis à mal avec le démantèlement de Maike Automotive, début 2018. La chute de ce fleuron du décolletage en vallée de l’Arve est survenue alors que le carnet de commandes était plein. Et elle est d’autant plus difficile à comprendre dans un contexte de reprise économique sensible.
Pourtant, en dépit de prémices heureux, la saga de Maike Automotive est avant tout l’histoire d’un pari perdu, représentatif de la difficulté à dégager des marges suffisantes dans ce secteur.
L’importance du décolletage dans l’économie française et haut-savoyarde
Le décolletage, né avec l’horlogerie, consiste à usiner des pièces à partir de barres de métal pour réaliser des engrenages, des écrous et d’autres pièces dites « de révolution ». De la même façon que sur un tour à bois, l’opération consiste à enlever progressivement de la matière à l’aide de lames, jusqu’à parvenir au résultat voulu. Des tours automatiques à commande numérique ont permis d’automatiser la fabrication, en apportant une grande précision et une cadence de production accrue.
Le débouché principal du décolletage est l’industrie automobile. Suivent l’horlogerie traditionnelle, l’aéronautique et l’aérospatiale et bien d’autres domaines d’activité.
Les entreprises de Haute-Savoie font de la France le leader mondial du décolletage
Dans une France depuis longtemps en voie de désindustrialisation (2,3 millions d’emplois supprimés en moins de 40 ans), l’insolente bonne santé de l’industrie en Haute-Savoie peut surprendre.
C’est le décolletage, spécialité incontestée du département, qui explique en grande partie l’originalité structurelle de son économie. Le décolletage de Haute-Savoie assure presque les 2/3 du total national, que ce soit du point de vue du nombre d’entreprises, des effectifs salariés, du CA cumulé ou encore des exportations. Le département alpin joue ainsi un rôle démesuré pour faire de la France un leader mondial dans ce secteur très prisé en particulier des constructeurs et équipementiers automobiles.
La nécessaire dépendance de l’industrie du décolletage aux donneurs d’ordre
Parce qu’elle approvisionne beaucoup de secteurs industriels fondamentaux, la filière du décolletage revêt une importance stratégique cruciale.
En contrepartie, le fait que les décolleteurs se trouvent en amont du marché, en tant que fournisseurs des équipementiers automobiles notamment, les rend vulnérables aux pressions de la conjoncture (dont la vente de véhicules neufs) et de leurs clients (constructeurs et équipementiers) . Rien n’empêche par exemple un équipementier de rang 1 (qui fournit des systèmes fonctionnels aux constructeurs, contrairement aux équipementiers de rang 2 approvisionnant les premiers en sous-ensembles) d’imposer des cahiers de charge contraignants et des baisses de prix aux fournisseurs décolleteurs.
Avec une croissance à deux chiffres de leur chiffre d’affaires en 2017, les gros équipementiers automobiles jouissent d’une position de leaders en France, particulièrement enviable dans la filière. Dans cette optique, la stratégie de fusion entreprise par Maike Automotive dans le secteur du décolletage apparaît pertinente. Un gros groupe a logiquement plus les moyens de traiter d’égal à égal avec les grands équipementiers en position de force que les multiples petits décolleteurs indépendants.
Grandeur et décadence de Maike Automotive, poids lourd du décolletage français
Maike Automotive est une holding fondée en 2008 à Bonneville en Haute-Savoie. Cette société à vocation financière s’est naturellement tournée vers la croissance externe pour se développer.
Par l’acquisition de Frank & Pignard en 2009 et après celle de Precialp un an plus tôt, elle devient moteur dans le secteur du décolletage dans la vallée de l’Arve.
Avec le rachat en 2010 de EMT 74 et l’alliance en 2011 avec Peugeot Japy, le visage définitif du nouveau géant de la filière se dessinait plus ou moins.
Maike Automotive pèse alors déjà plus de 230 millions de chiffre d’affaires, au bout de 3 ans d’existence : une performance qui ne manque pas d’impressionner tandis que la crise économique frappe de plein fouet.
Les 25 millions d’euros que le groupe reçoit alors du FMEA (Fonds de Modernisation des Équipementiers Automobiles) semblent valider sa crédibilité et sa stratégie capitalistique.
En 2011, Maike Automotive a touché 25 millions d’euros du Fonds de Modernisation des Equipementiers Automobiles.
En 2013, les dirigeants de Maike Automotive avaient encore l’ambition de doubler le CA de l’entreprise en cinq ans. Mais en 2018, le groupe, bien loin de ses objectifs, subit un démantèlement.
Une stratégie des dirigeants remise en question
En dépit des subventions, de la croissance effrénée des débuts et de l’apparente intelligence stratégique des investisseurs, Maike Automotive est, dès l’été 2017, en procédure de sauvegarde.
Comment en est-on arrivé là ?
La réponse est indiscutablement complexe. Les salariés et les syndicats pointent la désorganisation de la production, une croissance trop rapide et mal maîtrisée, le manque d’investissement et de formation. Quant aux dirigeants, ils font valoir pudiquement que les différentes procédures visant à assurer la pérennité des emplois et de l’appareil de production ne sont que “techniques”.
Le fait est que le modèle de croissance préconisé par le groupe présentait des risques dès le départ.
Les entreprises successivement acquises souffraient, parfois même avant la crise déclenchée en 2009. Ainsi Precialp Holding n’était déjà plus bénéficiaire en 2008, date de sa reprise par Maike Automotive. Plus récemment, en 2016, le résultat d’exploitation de Precialp avait chuté de 177% en un an.
Le redressement judiciaire de Frank & Pignard sonne le début de la fin pour le groupe
Frank & Pignard connaissait une situation difficile depuis sa reprise en 1998 par l’Américain Autocam.
Dix ans après cette prise de participation étrangère, l’un des fleurons du décolletage en Haute-Savoie avait en effet déjà perdu la moitié de ses 1 050 emplois. C’est donc d’une entreprise déficitaire et sous le coup d’une procédure de sauvegarde qu’hérite Maike Automotive en 2009.
En dépit d’une embellie, traversée par des mouvements sociaux, au début des années 2010, Frank & Pignard accusait de nouveau une perte de plus de 6 millions d’euros sur son résultat net en 2016.
C’est le redressement judiciaire de la filiale, laquelle réalisait près de 30% du CA du groupe (73 millions), qui sonne début août le glas des ambitions de Maike Automotive dans son ensemble.
Quel avenir pour Maike Automotive après les décisions du tribunal de commerce ?
Procédure de sauvegarde
En février 2018, le sort de Maike Atomotive est scellé. La procédure de sauvegarde entamée début août a permis un répit pendant lequel des repreneurs plus ou moins crédibles se sont manifestés. Cependant cette procédure, utile à une entreprise en difficulté en ajournant le paiement des dettes les plus criantes, ne permettait pas d’envisager la cession complète du groupe.
Sans repreneur crédible à l’échelle du groupe, il a fallu le démanteler pour sauver l’outil industriel et des emplois.
La procédure de sauvegarde est un dispositif moins contraignant que le redressement judiciaire, visant à mettre une société sous surveillance juridique sans pour autant la déclarer en cessation de paiements. Il a la particularité d’être à l’initiative de l’entreprise et non de ses créanciers.
Un plan de sauvegarde doit alors être établi pour permettre à la société de renouer durablement avec la rentabilité et d’apurer ses dettes.
En cas d’échec, l’entreprise n’échappe pas à l’état de cessation de paiements entraînant la mise en redressement judiciaire. Et c’est bien ce qui s’est passé pour Maike Automotive.
Plan de session
Début février 2018, à l’issue d’un plan de session, Maike Automotive sort démantelé et partagé entre de grandes entreprises locales du décolletage, dont Alpen’tech et Kartesis, réunis en consortium pour l’occasion. Preuve s’il en est que pour les acteurs du secteur, l’union fait toujours la force.
Si l’ensemble des activités sera maintenu, une centaine d’emplois seront néanmoins supprimés dans l’opération. Petit soulagement, ces fleurons de l’industrie de pointe française ne sont au moins pas partis aux mains d’investisseurs chinois, qui avaient pourtant candidaté.
Le décolletage en général reste un secteur puissant de part son outil industriel et son savoir-faire. Souhaitons qu’il ressorte grandi de ce malheureux épisode.