Emmanuel Macron vient de présenter un plan de soutien aux indépendants, visant à améliorer la protection sociale et la préservation du patrimoine des entrepreneurs individuels.
C’est donc le moment idéal pour vérifier si les micro-entrepreneurs font vraiment une concurrence déloyale aux artisans dans le domaine du bâtiment grâce à un statut plus avantageux.
Auto-entrepreneurs du bâtiment : tremplin ou activité de complément ?
Instauré en 2009, le statut de l’auto-entrepreneur, aujourd’hui appelé micro-entrepreneur, a été pensé pour faciliter la création d’entreprise.
Précisons d’emblée que la micro-entreprise n’est pas un statut juridique ; c’est un régime fiscal que l’on peut choisir librement au moment de la création de son entreprise.
En matière de statut juridique, le micro-entrepreneur exerce sous le statut juridique de l’entreprise individuelle (EI) ou celui de l’EURL.
L’artisan « classique » exerce sous le statut de l’EI ou en société telle que la SASU, l’EURL, ou la SARL.
Opter pour le statut auto-entrepreneur reste aujourd’hui un bon moyen de se lancer, pour pouvoir tester une activité. Le secteur du BTP ne fait pas exception. D’après l’ACOSS en 2019, sur plus de 412 000 entrepreneurs indépendants du bâtiment, près de la moitié avaient choisi le régime fiscal de la micro-entreprise.
Les micro-entrepreneurs sont particulièrement nombreux dans les travaux de finition, où ils représentaient 53,3% des entrepreneurs, soit plus de 90 000 artisans.
Mais en matière de revenu, on constate que les micro-entrepreneurs gagnent environ 4 fois moins que les entrepreneurs « classiques » sous le régime fiscal du réel. En 2018, ils ont respectivement touché, en moyenne :
- Gros-œuvre : 7 650 € vs 30 870 €
- Travaux d’installation : 8 680 € vs 31 550 €
- Travaux de finition : 7 950 € vs 29 000 €.
Il faut dire qu’en proportion, les micro-entrepreneurs sont plus nombreux à cumuler leur activité indépendante avec une activité salariée.
Des démarches et contraintes administratives allégées
L’inscription au Répertoire des Métiers est obligatoire pour tous les artisans. Sur ce point, les auto-entrepreneurs bénéficient d’un petit avantage : leur immatriculation est gratuite, alors qu’elle coûte entre 60 et 90 € pour les autres formes juridiques.
En outre, une fois en activité, ils ont la possibilité de tenir une comptabilité allégée, consistant à enregistrer les recettes et les achats de façon chronologique. Ils sont donc dispensés de tenir une comptabilité complète (incluant bilan, compte de résultat et annexe) et d’établir un inventaire annuel. Or, la tenue d’une comptabilité conforme est une activité particulièrement chronophage pour les artisans, sauf s’ils font le choix de la déléguer à un professionnel de l’expertise-comptable.
Un niveau de qualification équivalent
Certains professionnels du bâtiment déplorent la moindre qualité des prestations effectuées par des auto-entrepreneurs. Pour autant, peut-on dire que ces derniers sont moins qualifiés ?
Il faut reconnaître que la simplicité des démarches pour créer une auto-entreprise permet à un professionnel de se lancer très rapidement.
Mais objectivement, les démarches pour s’immatriculer auprès du Registre des Métiers sont les mêmes, quel que soit le statut juridique et le régime fiscal choisi. Ainsi dans le BTP, il faut justifier au moins d’un CAP ou de 3 années d’expérience professionnelle.
De même, les assurances professionnelles auxquelles ils sont soumis s’appliquent à tous les artisans, qu’ils exercent sous le régime de la micro ou du réel.
La question des cotisations sociales
Le taux de cotisations sociales est un argument souvent mis en avant pour souligner le déséquilibre entre les micro-entrepreneurs et les entrepreneurs individuels. Il s’élève ainsi à :
- Micro-entrepreneur : 22 % du chiffre d’affaires (CA) encaissé
- Artisan sous le régime du réel : environ 45 % du bénéfice
Même si facialement, les micro-entrepreneurs bénéficient d’un taux de cotisations moins élevé, il faut comprendre que l’assiette de cotisations est différente. C’est la totalité du revenu brut qui est prise en compte, quel que soit le montant des charges d’exploitation.
Néanmoins, il est vrai qu’en l’absence de chiffre d’affaires, les micro-entrepreneurs n’ont pas de cotisations sociales à payer. Inversement, les artisans sous le régime fiscal du réel doivent systématiquement régler des cotisations minimales, y compris en l’absence de revenus.
Le traitement des charges et l’impact sur la rentabilité
On l’a vu, l’assiette de cotisations diffère grandement entre un entrepreneur individuel et un micro-entrepreneur. On retrouve cette distinction en matière fiscale, les deux régimes étant soumis à l’impôt sur le revenu.
D’un côté, les artisans peuvent déduire l’intégralité de leurs charges réelles. De l’autre, les micro-entrepreneurs appliquent un abattement forfaitaire de 50 %, représentatif de leurs charges réelles.
Même si certains métiers nécessitent plus d’investissements que d’autres, il est indéniable qu’un professionnel du bâtiment doit faire face à des charges incompressibles : son matériel, ses consommables, son fourgon, son assurance RC pro, etc.
Un micro-entrepreneur peut se retrouver en déficit, si jamais ses dépenses réelles dépassent son chiffre d’affaires encaissé. Mais l’administration fiscale n’en tiendra pas compte.
L’impact de la TVA
Autre thématique récurrente : la TVA et son impact sur la facturation et la trésorerie de l’entreprise. Par défaut, les micro-entrepreneurs bénéficient de la franchise en base de TVA. Ainsi, si leurs clients sont des particuliers, le prix à payer est effectivement moins élevé, puisqu’ils ne facturent pas la TVA.
Mais en contrepartie, tous leurs achats sont effectués TTC, ils ne peuvent pas récupérer la TVA.
Autre avantage : l’absence de déclaration et de versement de TVA, et par conséquent une formalité en moins et une trésorerie sauvegardée par rapport aux artisans.
Cela dit, rappelons que la franchise en base de TVA peut également bénéficier aux artisans « classiques » puisqu’elle dépend en réalité du niveau de CA réalisé. En ce qui concerne les prestations de service, le seuil est en-deçà de 34 400 € par année civile.
Auto-entrepreneurs, une concurrence déloyale ?
Si en apparence, le statut auto-entrepreneur est plus simple et moins coûteux, il n’est pas forcément plus rentable. Alors, comment expliquer ce sentiment de concurrence déloyale entre micro-entrepreneurs et artisans « classiques » ?
Les avantages que nous avons listés peuvent inciter les professionnels concernés à pratiquer des prix moins élevés que les entrepreneurs « classiques ». D’autant plus si l’on prend en compte que le CA des micro-entrepreneurs est plafonné.
Par ailleurs, certaines pratiques s’apparentent à du salariat déguisé. Dans ce cas de figure, les micro-entrepreneurs sont en réalité soumis à un lien de subordination avec leur entreprise « cliente », et n’ont pas la main pour fixer leurs tarifs.
Ce qui rejoint un autre sujet qui impacte fortement le monde du BTP, bien au-delà de la question des micro-entrepreneurs : celui du travail dissimulé.
Crédit photo : Henry & Co.